Je fais trop de photos. Chaque rencontre donne lieu à une overdose d'images. D'images prises, d'images montrées.

Il y a d'abord la spécificité de la photo, de la photo numérique. Déjà alors qu'il travaillait péniblement à la chambre, Weston notait cet appel du nombre, regrétait de ne pouvoir en faire plus. Le numérique a fait exploser la barrière matérielle du nombre d'images, rien ne vient limiter pratiquement le nombre de photos réalisables. Et cela s'impose naturellement, je n'ai pas choisi sciemment de profiter de cet avantage. Et ce n'est pas toujours vrai, quand je photographie des objets, je ne fais pas plus de photo qu'avec un appareil argentique, il y a d'autres choses.

Il y a ensuite l'autodestruction. Trop d'image tue l'image. Je noie chacune de mes images dans la proximité des autres images. Ou peut-être aussi une tentative naïve de noyer le poisson, d'absoudre les photos de ce qu'elles représentent, puisqu'aucune image n'a d'importance, ce que je fais n'en a pas non plus. Non une dilution de la responsabilité, dans le nombre, mais une disparition, puisqu'il est impossible de désigner une photo.

Il y a le refus de l'idole. Le refus de cette oeuvre unique censée par un acte de génie tout dire en une seule image. Une image qui deviendrait sacrée, que l'on encadrerait, un objet de culte. Ceci va bien à la peinture, au croquis.

Il y a une tentative absurde d'honnèteté. Montrer des photos moins fortes, car elle participent autant que les fortes de ce qu'il s'est passé. Coller à la «réalité». Établir un récis exhaustif. Cerner son sujet littéralement, ne pas le condenser en une image résumée mais en délimiter les contours. Ne pas le désigner, mais le faire naître par lui même du chaos des images.

Il y a les failles. L'enchaînement discontinu des images fait naître autant d'espaces, autant de ruptures où du sens peut se faire. L'entre deux images, espace vierge, invitation à se glisser, à s'immiscer, à pénétrer. Un moucharabié dont les interstices invitent au croisement des regards, une membrane poreuse pour une diffusion osmotique.

Il y a l'inéfficacité, le gaspillage, la gratuité. Un terrain vague, une histoire qui divague, qui se perd, qui s'égare. Flagrant délit de vagabondage.